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L’approche de la médecine interventionnelle : la fine pointe de la technologie au service de nos animaux
Information sur la pratique TechnologiesL’Ordre a eu l’occasion de s’entretenir avec la Dre Marilyn Dunn, directrice du service de médecine interventionnelle au Centre hospitalier universitaire vétérinaire (CHUV), afin d’en apprendre davantage sur cette approche.
La médecine vétérinaire constitue un terreau fertile pour le développement d’approches innovantes, qui visent à améliorer le bien-être des patients. La médecine interventionnelle est du nombre, elle qui mise sur la fine pointe de la technologie pour prodiguer des soins moins invasifs, ce qui limite les situations d’inconfort aux animaux lors d’interventions, et facilite leur rétablissement postopératoire. L’Ordre a eu l’occasion de s’entretenir avec la Dre Marilyn Dunn, directrice du service de médecine interventionnelle au Centre hospitalier universitaire vétérinaire (CHUV), afin d’en apprendre davantage sur cette approche.
Ce qui est bon pour Jean est bon pour Fido
L’approche interventionnelle est largement inspirée de ce qui est préconisé en médecine humaine depuis une cinquantaine d’années. La transposition vers la médecine vétérinaire s’est faite naturellement selon la Dre Dunn :
« Les propriétaires d’animaux, qui ont bénéficié de chirurgies d’un jour peu invasives, avec peu d’inconfort, se questionnaient sur cette possibilité pour leurs animaux. À titre de médecins vétérinaires, il a fallu trouver une approche pour répondre à ce besoin, inspirés par ce qui se fait en médecine humaine. »
La médecine vétérinaire interventionnelle émane ainsi du lien indéfectible qui unit l’humain à l’animal. Se détacher de son animal sur une longue période est souvent difficile, surtout dans le contexte des animaux de travail ou de soutien émotionnel. En réduisant le temps d’hospitalisation, l’approche interventionnelle permet à l’animal de retrouver son humain plus rapidement et de pouvoir profiter de l’amour qui les unit lors de son rétablissement.
Devant ce constat, il n’est pas surprenant que les soins issus de cette approche gagnent en popularité dans le milieu vétérinaire. La médecine interventionnelle chez les animaux a commencé à se développer davantage il y a une vingtaine d’années, avec la diffusion de publications sur le sujet. Depuis une quinzaine d’années, les connaissances liées à l’approche s’accélèrent, une excellente nouvelle pour nos compagnons de vie qui profitent de ces soins.
Un monde de possibilités
À la base, ce sont donc les propriétaires d’animaux qui ont poussé pour obtenir des soins inspirés de l’approche interventionnelle humaine. Mais un autre aspect entre en ligne de compte, soit le type de patient. La Dre Dunn explique :
« La médecine interventionnelle est indiquée lorsqu’on cherche des alternatives moins invasives à des traitements standards pour un patient, comme pour retirer des pierres à la vessie. Elle peut aussi devenir la seule manière de traiter certains patients, notamment pour des problèmes cardiaques ou des vaisseaux hépatiques. On ne peut pas aller chercher ces endroits-là facilement en médecine traditionnelle. On disait même, par le passé, que ces conditions n’étaient pas traitables. »
C’est un autre parallèle à faire avec la médecine humaine. Avant les pontages et l’angiographie cardiaque, les patients se retrouvaient avec peu ou pas d’options de traitement. Maintenant, l’intervention passe par les voies naturelles plutôt que par une laparotomie pour retirer des pierres aux reins, diminuant l’inconfort et la taille des cicatrices. Ce type d’intervention permet aussi aux patients, tant humains qu’animaux, de sortir de l’unité de soins la journée même, sollicitant ainsi moins de ressources que lors d’une hospitalisation de longue durée.
Un usage différent de l’imagerie médicale
Quand il est question de médecine interventionnelle, l’utilisation de l’imagerie médicale ne se limite pas à poser un diagnostic. Elle est aussi utilisée à des fins thérapeutiques. La méthode traditionnelle compte sur l’imagerie pour diagnostiquer des conditions, à l’aide d’une radiographie ou d’une échographie, par exemple, dans le but de poser un diagnostic. Celui-ci mènera à un traitement précis, à l’aide d’une chirurgie ou de médicaments. En entrevue, la Dre Dunn nous explique la nuance qui s’applique à la médecine interventionnelle :
« En médecine interventionnelle, l’imagerie est plutôt utilisée pour guider le traitement. Par exemple, pour un vaisseau anormal au niveau du foie, on va utiliser l’imagerie pour aider à rentrer un petit cathéter dans le milieu du foie, par les vaisseaux sanguins. Ça nous permet d’entrer dans le corps, pour pouvoir mieux diriger nos interventions auprès du patient. »
Une approche en évolution constante
Au cours des 20 dernières années, les avancées scientifiques liées à la médecine interventionnelle ont pris un élan exponentiel. Selon la Dre Dunn, cette évolution se déroule sur deux tableaux :
« L’approche évolue dans la gamme de procédures et de maladies qu’on peut traiter, mais aussi, elle prend de l’ampleur au niveau international. De plus en plus de centres offrent des procédures en médecine interventionnelle à travers le monde. Chez nos voisins du Sud, on décompte quatre centres mis sur pied il y a de cinq à sept ans. »
Le Centre d’excellence en médecine interventionnelle, situé à l’Hôpital des animaux de compagnie du Centre hospitalier universitaire vétérinaire (CHUV), est le premier de la sorte au Canada. Dirigé par la Dre Dunn, il a ouvert ses portes en février 2024, grâce à la contribution de donateurs. Il accueille un appareil à fluoroscopie et compte parmi les centres qui font le plus de procédures mondialement. Le fait qu’il soit l’un des centres les plus avancés en Amérique du Nord, technologiquement parlant et en matière d’expertise, génère un grand sentiment de fierté dans l’équipe de la Dre Dunn. Certains centres procèdent uniquement au niveau du foie, de la vessie ou du cœur. Celui du CHUV touche à tout et développe des procédures à la fine pointe de la technologie.
La combinaison gagnante
Les procédures interventionnelles allient la fluoroscopie et l’endoscopie avancée et intègrent plusieurs autres modalités d’imagerie pour guider les interventions avec une fine précision. La Dre Dunn explique que des équipements et des matériaux sont nécessaires pour procéder :
« Ça peut prendre des endoscopes de petit calibre avec haute définition pour se rendre au site à traiter, que ce soit au niveau des reins, des poumons, de la vessie ou des intestins. Une fois rendus, ça prend de l’équipement comme des cathéters, des ressorts d’embolisation, des stents ou des ballons pour traiter les patients. »
En résumé, c’est donc l’imagerie, combinée à des outils technologiques, qui permet à l’équipe de traiter les patients. La Dre Dunn complète avec une image :
« Le laser, c’est notre bistouri. Il permet de couper, brûler, faire l’ablation de tumeurs, de polypes. »
Pas juste pour les animaux de compagnie
En plus de permettre l’atteinte de sites précis comme les petits vaisseaux des orteils et de la queue, la technologie interventionnelle traite maintenant un plus grand nombre d’espèces. L’équipe de la Dre Dunn travaille notamment en étroite collaboration avec le service des animaux exotiques de compagnie du CHUV et avec les médecins vétérinaires qui pratiquent auprès des grands animaux, des bovins, des ruminants et des équins. Il va de soi qu’un cheval ou une vache ne peut pas entrer dans le Centre de médecine interventionnelle. Ainsi, l’équipe collabore avec les spécialistes dans les grands animaux, en partageant des façons de faire qui combinent la radiographie, l’échographie et l’endoscopie.
Parfois, l’équipe travaille avec les animaux de la faune, les zoos, dont le Biodôme, et la Clinique des oiseaux de proie. La médecine interventionnelle est encore plus pertinente et porteuse de bienfaits pour ces espèces. La Dre Dunn nous a donné des exemples : « Il est maintenant possible de passer par le cloaque ou la bouche d’une tortue plutôt que de couper sa carapace, évitant ainsi un processus de guérison long en nature. Pour les oiseaux de proie, cette approche est particulièrement intéressante. Puisqu’ils sont difficiles d’approche, nous ne pouvons pas interagir longtemps avec eux. »
Des situations d’apprentissage inouïes
Les étudiants qui gravitent dans l’environnement du centre, dont la raison d’être est l’enseignement, vivent des situations d’apprentissage riches et diversifiées aux côtés de l’équipe de la Dre Dunn. Le cas de la chienne Peggy, que vous pouvez découvrir dans une vidéo sur le site du CHUV, en est un excellent exemple. « Une partie de l’intervention a été effectuée par un résident sénior et plusieurs personnes ont assisté à la procédure, dont les étudiants », mentionne la Dre Dunn. « Les résidents savent ainsi que l’approche interventionnelle existe. C’est important, car ils seront mieux outillés pour répondre aux questions des clients sur les différentes options de soins possibles pour leur animal », conclut la Dre Dunn. Ceci est particulièrement important, puisque les médecins vétérinaires ont le devoir d’informer le client sur l’éventail de soins qui est à sa portée, afin qu’il puisse prendre une décision éclairée en lien avec la santé et le bien-être de son animal. Un médecin vétérinaire doit ouvrir ses horizons, connaître ce qui existe, tout en respectant ses limites. Bien souvent, ce sont des spécialistes qui font de la médecine interventionnelle. Dans ce cas de figure, le devoir d’informer et d'adresser le client à un spécialiste demeure.
Les motivations de la Dre Dunn
Spécialiste en médecine interne, la Dre Dunn parle d’une suite logique quand il est question de sa transition vers la médecine interventionnelle. Elle nous a raconté ce qui l’a motivée à faire le saut : « J’ai toujours été très intéressée par l’endoscopie, aller voir ce qui se passe. Je trouvais toutefois frustrant de trouver la pathologie, mais de ne pas être capable de la traiter. Il fallait attendre que les médicaments fassent effet ou qu’un autre spécialiste intervienne. Je me disais : je suis rendue ici, pourquoi je ne peux pas traiter? Pourquoi se rendre au site seulement pour diagnostiquer? »
À la suite d’un premier cas en médecine interventionnelle (un patient qui ne répondait pas à un traitement médical et qui avait un collapse trachéal à un endroit qui était inatteignable en chirurgie), la Dre Dunn a contacté des spécialistes nord-américains, qui partageaient ses idées, afin de collaborer pour créer des procédures. C’est de là qu’est née la Veterinary Interventional Radiology and Interventional Endoscopy Society (Société de médecine interventionnelle), qui présente annuellement des conférences sur les innovations liées à l’approche interventionnelle. Ce sont ainsi des expertises complémentaires, de la Faculté de médecine vétérinaire et de l’Université de Pennsylvanie, et des intérêts communs, qui ont fait avancer la médecine vétérinaire interventionnelle.
L’avenir de la médecine interventionnelle
La possibilité d’accéder à des endroits qui nous étaient auparavant inaccessibles sans chirurgie, tels la vessie, les poumons, l’intérieur du foie et les intestins, a permis de découvrir de nouvelles conditions et maladies. La Dre Dunn, qui a d’ailleurs découvert deux maladies en collaboration, se réjouit de ces avancées : « Plus on est capable de se rendre loin dans le corps, pour mieux visualiser une condition, plus on identifie de nouvelles choses. »
La Dre Dunn termine l’entrevue avec un souhait : « J’aimerais que les soins en médecine interventionnelle soient accessibles à tous les patients, n’importe où ils habitent dans le monde, et à tous les propriétaires financièrement parlant. »
La bonne nouvelle, c’est que la médecine interventionnelle peut être pratiquée dans des cliniques privées avec peu d’équipement. C’est sous cet angle qu’elle est enseignée à la Faculté de médecine vétérinaire. La mission de l’équipe du Centre de médecine interventionnelle est de traiter les patients, mais aussi d’avoir un impact significatif par l’enseignement. Enseigner la médecine interventionnelle, c’est ainsi ouvrir une porte vers un autre monde.