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Médecine de refuge : une saine gestion de population pour des soins individuels de qualité

Information sur la pratique

La médecine vétérinaire de refuge est reconnue comme une spécialité auprès de l’American Board of Veterinary Specialties (ABVS) depuis 2014. Apprenez-en davantage sur cette spécialité!

Par Dre Marianne Bond, m.v., Dre Gabrielle Carrière, m.v., Alexandre Ellis, D.M.V., et Dr Vincent Paradis, m.v., Association vétérinaire québécoise de médecine de refuge (AVQMR)

 

La médecine vétérinaire de refuge est reconnue comme une spécialité auprès de l’American Board of Veterinary Specialties (ABVS) depuis 2014. Le médecin vétérinaire de refuge doit tenir compte des besoins médicaux et comportementaux de chaque individu, de la population du refuge et des animaux de la communauté. La définition de « refuge » est très large et la mission, les modes de financement et les ressources de chaque organisation peuvent diverger considérablement. Ainsi, certains organismes admettent peu d’animaux de manière à pouvoir offrir des soins individuels très coûteux et complexes, alors que d’autres centres reçoivent beaucoup d’animaux de sorte qu’une saine gestion de la population devient prioritaire. Le médecin vétérinaire doit donc adapter sa pratique à cette réalité et intégrer certains concepts propres à la médecine de refuge avant de pouvoir bien juger de la santé d’une population ou d’un individu.

En médecine de refuge, le jugement professionnel prend tout son sens!

 

Durée de séjour

D’abord, la durée de séjour d’un animal en refuge (de l’anglais Length Of Stay – LOS) est un élément clé du bien-être animal. De façon générale, plus la durée de séjour moyenne est courte, mieux se portent les animaux. Chaque décision doit tenir compte de cette réalité. Même dans un refuge idéal, l’environnement ne peut répondre adéquatement aux cinq libertés animales (absence de faim, de soif et de malnutrition; absence de peur et de détresse; absence de stress physique et thermique; absence de douleur, de lésions et de maladies; possibilité pour l’animal d’exprimer les comportements normaux de son espèce), particulièrement en ce qui concerne la possibilité d’adopter des comportements normaux et de ne pas souffrir de la peur. Un refuge n’est pas un milieu de vie adéquat à long terme. Plus le séjour est long, plus les risques de maladie ou de souffrances psychologiques sont élevés. Un long séjour accroît également les besoins individuels en soins et réduit les ressources disponibles pour les animaux avec des besoins plus grands.

Le médecin vétérinaire de refuge doit tenir compte des besoins médicaux et comportementaux de chaque individu, de la population du refuge et des animaux de la communauté.

Les quarantaines sont très rarement recommandées en refuge à l’exception de situations particulières, à la suite de morsures ou conséquemment à une analyse de risque lors de maladies infectieuses. Les quarantaines systématiques peuvent être dommageables pour la santé des animaux en augmentant la durée de séjour moyenne et la population totale du refuge, et par conséquent, le stress des animaux et la pression d’infection.

Dans un même ordre d’idées, le fait d’attendre qu’un animal ait complété ses traitements ou soit complètement guéri d’une maladie avant de partir pour un nouveau foyer prolonge également le séjour au détriment de cet animal, mais aussi des autres animaux du refuge.

 

Autres solutions aux admissions

L’admission en refuge comme solution systématique pour aider tout animal dans le besoin n’est plus considérée comme une bonne pratique et des solutions de rechange doivent être envisagées. Par exemple, les abandons devraient être faits sur rendez-vous afin d’en comprendre les raisons et de pouvoir offrir certaines ressources pour permettre aux animaux de demeurer dans leur famille.

L’adoption directe entre les citoyens devrait aussi être encouragée via certains sites Internet ou réseaux sociaux. Les propriétaires qui doivent chercher une nouvelle famille pour leur animal de compagnie ne doivent pas subir de jugement. La plupart des gardiens sont dévoués et aiment sincèrement leur animal, mais se retrouvent dans des circonstances difficiles et n’ont pas d’autre choix (décès, maladie, perte d’un emploi, crise du logement). Au lieu de porter des jugements, nous devons leur venir en aide et faire preuve d’empathie afin de favoriser l’établissement d’un lien de confiance avec la communauté, lien essentiel pour la réussite de la médecine de refuge.

Traditionnellement, la gestion des chats vivant à l’extérieur impliquait leur admission systématique en refuge. Or, cette pratique est largement inefficace. En effet, en plus d’être néfaste pour le bien-être des animaux, elle ne permet pas de faire diminuer la population et réduit les chances que l’individu retrouve sa famille. Bien qu’imparfaites, la stérilisation et la relâche des chats (retour à la communauté), ainsi que la gestion des colonies de chats vivant à l’extérieur sont beaucoup plus adaptées à l’espèce féline.

 

Inspections respiratoires félines

En refuge, il vaut mieux prévenir que guérir les infections respiratoires félines. Une bonne gestion de la population avec diminution de la durée de séjour, l’adoption de solutions de rechange aux admissions, l’amélioration de la qualité de l’environnement et la diminution du stress sont d’excellents moyens pour éviter les maladies acquises. Malgré un respect rigoureux des mesures de biosécurité, le stress favorise la réactivation de virus latent comme l’herpèsvirus, le plus souvent responsable de la rhinotrachéite infectieuse. Lorsque la prévalence de rhinotrachéite infectieuse est élevée, la régie devrait être évaluée.

Pour diminuer l’incidence, il faut bien séparer les chats et les chiens, avoir des cages de taille suffisante ou doubles, fournir une cachette, réduire les bruits et appliquer les principes de Fear Free. Lorsque toutes ces mesures sont appliquées, la rhinotrachéite infectieuse devient généralement une infection marginale et on traite l’individu malade, si nécessaire, en faisant un usage judicieux des antibiotiques.

 

Vaccination

Les protocoles de vaccination recommandés par l’AAHA et l’AAFP sont très différents pour les refuges. L’admission de nombreux animaux de provenances multiples et aux statuts vaccinaux inconnus combinée au stress important pendant l’hébergement augmentent significativement le risque d’infection de sorte que les vaccins de base doivent être donnés rapidement et souvent. En effet, il est recommandé de vacciner tout animal âgé de 4 semaines ou plus aux 2 à 3 semaines jusqu’à l’âge de 4 à 5 mois. Que l’animal soit abandonné ou trouvé errant avec une période de garde légale, le premier vaccin devrait être administré dès l’entrée au refuge, voire avant, si possible, et ce, même si l’animal n’est pas en parfaite santé. Pour cette raison, les vaccins sont souvent délégués à des techniciens en santé animale et parfois à des employés formés avant l’évaluation de l’état de santé.

 

Test FIV/FeLV

Il n’est généralement plus recommandé de dépister tous les chats admis en refuge pour le FIV et le FeLV. Le test peut être réservé aux individus à risque ou présentant des symptômes compatibles avec ces maladies. D’abord, la proportion d’animaux sains infectés dans la population est plutôt faible. L’interprétation des tests est également complexe et les faux positifs ou résultats erronés sont fréquents (anticorps maternels pour le FIV chez les chatons, animal récemment infecté pour le FIV n’ayant pas encore développé d’anticorps, FeLV régressif, etc.). Les résultats doivent souvent être confirmés en laboratoire. Les tests sont coûteux et requièrent temps et expertise alors que les ressources pourraient être mieux utilisées pour offrir des soins aux animaux malades. De plus, le dépistage systématique peut augmenter le temps de séjour en refuge. Les adoptants sont plutôt encouragés à discuter des options de dépistage avec leur propre médecin vétérinaire.

 

Parasites

Une connaissance des parasites prévalents dans un refuge permet également la mise en place d’une prophylaxie à large spectre et d’un traitement empirique en présence de symptômes digestifs. Une bonne utilisation des produits antiparasitaires s’avère souvent plus pragmatique que d’effectuer des coprologies de routine. La prévalence des vers du cœur pour les chiens provenant du Québec ne justifie pas pour le moment le dépistage systématique de tous les animaux sauf s’ils proviennent de régions où ce problème est endémique.

 

Bilans sanguins

Les bilans sanguins préopératoires ou gériatriques ne devraient être réalisés que lorsque l’examen médical révèle des anomalies laissant suspecter une maladie qui pourrait influencer le cheminement de l’animal dans le refuge ou son plan de traitement. Ces tests nécessitent des ressources significatives et peuvent prolonger le séjour de l’animal dans le refuge. Il faut accepter un certain degré d’incertitude dans un contexte de refuge. Une analyse d’urine est souvent une solution de rechange rapide et peu coûteuse qui fournit des informations précieuses sur la santé du patient.

 

Conclusion

Bien qu’elle soit pleinement accessible à tout médecin vétérinaire généraliste, la médecine de refuge demande certains ajustements dans notre vision clinique et nos pratiques. Une formation ciblée peut s’avérer très utile. Depuis sa création, l’AVQMR offre annuellement plusieurs formations pour les médecins vétérinaires et les employés de refuges animaliers.

Aux États-Unis et dans certaines provinces canadiennes, la médecine de refuge évolue rapidement pour faire face aux inégalités sociales. La médecine communautaire occupe une place de plus en plus importante au sein des refuges afin de mieux répondre aux besoins de la population. Les personnes à faible revenu vont continuer à avoir des animaux de compagnie puisqu’ils en tirent les mêmes bénéfices que les mieux nantis. Collectivement, notre profession se doit de trouver une manière de desservir cette population défavorisée et la médecine de refuge pourrait être une des avenues soutenues pour prévenir les abandons et garder les familles unies. Si les lois et règlements encadrant l’exercice de la médecine vétérinaire doivent évoluer en ce sens, la culture au sein de la profession doit également suivre le pas en s’adaptant aux réalités du public qu’elle dessert. ?