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Le modèle Communo-Vet : quand l’action communautaire s’ancre dans la pratique vétérinaire
Actualités vétérinairesPratiquer la médecine vétérinaire différemment!
Lorsqu’on pense au Bas-Saint-Laurent, nous imaginons le fleuve majestueux, les magnifiques panoramas qui le bordent et des communautés tissées serré. Pas étonnant que ce soit au cœur de cette région du Québec que le projet Communo-Vet ait vu le jour, en août 2023. Depuis, les Bas-Laurentiens peuvent compter sur une ressource en médecine vétérinaire qui réinvestit la totalité de ses profits au bénéfice de services et de projets communautaires. L’Ordre a eu l’occasion de s’entretenir avec les Dres Florence Grégoire-Jacques et Aryane Maltais pour en apprendre davantage sur ce projet inspirant qu’elles ont fondé avec Mme Hélène Méthot, agronome et gestionnaire d’organismes à but non lucratif (OBNL).
Même si de l’extérieur Communo-Vet a l’air d’une clinique vétérinaire usuelle pour petits animaux, et qu’elle est structurée de la même manière relativement aux opérations quotidiennes, deux aspects différencient sa pratique. Il s’agit de la structure en OBNL et de la mission qui vient avec ce type d’organisme.
Par ses actions, Communo-Vet vise à faciliter l’accessibilité aux services vétérinaires dans la communauté au sein de laquelle il évolue. L’intégralité des profits engendrés par ces services est réinvestie dans des projets communautaires, dont les grands alignements sont dictés par le conseil d’administration de l’organisme, selon les besoins du milieu.
Pensée initialement pour une pratique mobile, la formule Communo-Vet a évolué afin de mieux répondre aux attentes de la clientèle. L’organisme s’est ainsi procuré un espace pour que les gens puissent venir chercher de la nourriture et de la médication pour leurs animaux. De fil en aiguille, une salle de consultation y a été aménagée pour offrir une gamme plus complète de services aux clients. Le modèle hybride privilégié par l’organisme permet ainsi d’offrir des services en clinique ou à domicile, ce qui procure une meilleure flexibilité à la clientèle. Les médecins vétérinaires partagent leur temps également entre les consultations en clinique et celles à domicile. Le service mobile est idéal pour certains clients, par exemple les propriétaires d’animaux anxieux, les aînés ou les personnes qui ne disposent pas de véhicule.
En attendant la Loi 67…
Présentement, la pratique des médecins vétérinaires en OBNL n’est pas permise au Québec pour la prestation de services au public. Dans ce contexte, l’entité vétérinaire de Communo-Vet, soit les Dres Grégoire-Jacques et Maltais, est liée par contrat à l’OBNL. Les clients qui souhaitent obtenir des services vétérinaires passent par l’organisme pour prendre rendez-vous ou acheter de la nourriture, par exemple. Ensuite, les médecins vétérinaires prodiguent les services et redistribuent tous les profits engendrés à l’organisme. En gros, nous pouvons dire que ce sont deux entités qui communiquent par contrat et par facturation, selon la charge attribuée à chacune d’elles.
Le dépôt du projet de loi 67 par la ministre Sonia LeBel, en juin 2024, ouvre la porte à la pratique de la médecine vétérinaire en OBNL. Pour la clientèle, ceci ne fera pas de différence dans les services obtenus chez Communo-Vet. Toutefois, si ce projet est adopté par l’Assemblée nationale du Québec, il y aura un allègement sur le plan de la comptabilité et des frais de gestion, tout en simplifiant la structure. Le rêve des Dres Grégoire-Jacques et Maltais est de devenir des employées de l’OBNL, ce qui permettrait de réduire le dédoublement du volet administratif comme c’est le cas actuellement, le tout dans une optique de contribuer davantage à l’action communautaire.
Des reconnaissances qui donnent des ailes
Dès le début de son aventure, l’équipe de Communo-Vet fut portée par l’enthousiasme débordant démontré par sa communauté envers son projet. Cette vague d’amour n’est pas étrangère au succès rencontré par l’organisme au sein du milieu entrepreneurial. En 2023, le jury du Défi OSEntreprendre lui a décerné deux prix aux niveaux régional et provincial, dans la catégorie Économie sociale. Combinées au Coup de cœur du Scientifique en chef du Québec, ces reconnaissances ont donné des ailes aux instigatrices du projet.
« Ces prix ont créé une belle attente dans la communauté, mais surtout une vague d’amour et d’encouragement qui nous a portées à travers le démarrage du projet », mentionne la Dre Grégoire-Jacques. La Dre Maltais renchérit : « Cette reconnaissance nous a poussées à accélérer le processus, à mettre notre projet en marche plus rapidement. Les bourses, le coaching, l’aide d’entrepreneurs nous ont aidées au cours de notre année de démarrage. »
Le projet est rapidement devenu un vecteur communautaire fort, constituant une source d’inspiration auprès de la population. C’est que la mission de Communo-Vet touche les gens droit au cœur. Mettre de l’avant la santé des animaux, sans oublier celle des humains qui les côtoient, dans un souci de justice et d’équité sociale, c’est ce à quoi l’organisme aspire. Plusieurs personnes se déplacent spécifiquement pour encourager cette vision, considérant que ce geste va au-delà d’une simple visite chez le médecin vétérinaire.
S’intégrer à l’écosystème communautaire local
Communo-Vet peut compter sur un réseau d’organismes déjà bien établi dans la région, ce qui facilite les échanges d’idées entre les acteurs communautaires. Bien que Communo-Vet en soit seulement à sa première année d’opération, de nombreux projets sont en route ou en développement.
Volet communautaire basé sur le revenu
Ce volet permet à une personne qui se retrouve sous le seuil de la pauvreté d’accéder à des tarifs médicaux réduits lorsque son animal a des problèmes de santé, réduisant ainsi la facture pour les soins, les médicaments et la nourriture. Un formulaire est alors rempli et les rendez-vous s’intercalent dans la semaine de travail des médecins vétérinaires. Cela peut être confrontant de parler de sa situation difficile, mais les conditions sont mises en place pour que les bénéficiaires osent parler de celle-ci.
Volet santé mentale
Pour ce volet, Communo-Vet a développé un partenariat avec des intervenantes du CLSC de Saint-Pascal. Quand celles-ci rencontrent des personnes en situation précaire avec leurs animaux, elles remettent une carte pour obtenir des soins vétérinaires en volet communautaire. Nous parlons ici de gens qui vivent une période de stress momentané avec leurs animaux, par exemple. Le volet santé mentale sera amené à évoluer au cours des prochaines années, selon le financement disponible. La directrice de l’organisme, Mme Hélène Méthot, est particulièrement motivée par cet aspect et s’inspire de la recherche universitaire pour réfléchir sur les nouveaux projets. L’objectif de ce volet est de briser l’isolement des personnes en situation de vulnérabilité.
Volet éducatif
La Dre Maltais présente des ateliers sur la communication des animaux auprès des enfants du primaire. L’objectif est de créer des humains plus attentifs aux besoins des animaux et à leur bien-être, tout en évitant les morsures. Les enfants peuvent ainsi apprendre à mieux communiquer avec les animaux de leur entourage. Éventuellement, Communo-Vet aimerait étendre son offre chez les jeunes d’âge préscolaire et les adolescents. L’organisme a aussi été approché par des municipalités, qui souhaitent sensibiliser leurs citoyens au bien-vivre-ensemble humains-animaux. Ce type de projet procure de beaux défis à l’équipe, qui répond sur mesure aux besoins exprimés.
Pour réaliser ses projets, Communo-Vet peut compter sur de nombreux partenaires du milieu. Nous pensons notamment à l’Hôpital vétérinaire de Montmagny, aux CLSC, aux écoles, aux travailleurs de milieu de Kam-Aide, aux travailleurs de rue de Tandem Jeunesse, à la Société d’aide au développement de la collectivité du Kamouraska, à la chambre de commerce Kamouraska-L’Islet et à la MRC.
L’organisme a aussi développé un partenariat avec le Cégep de La Pocatière. Depuis avril 2024, les Dres Grégoire-Jacques et Maltais peuvent se prévaloir des locaux modernes de l’institution pour leur volet chirurgical. « Dès le départ, nous avons ressenti une grande ouverture à nous accueillir, il y avait un désir de collaborer. Ce partenariat nous permet de mettre les ressources financières de Communo-Vet ailleurs que dans un investissement dans une salle de chirurgie. Dans le futur, les discussions sont ouvertes pour intégrer les étudiants aux journées de stérilisation et ainsi les exposer à différents milieux de pratique en médecine vétérinaire », mentionne la Dre Grégoire-Jacques.
Préconiser l’approche « une seule santé »
Selon l’Organisation mondiale de la santé, le concept « une seule santé » réfère au fait que la santé des humains, la santé des animaux et celle des écosystèmes sont étroitement liées. Les actions de Communo-Vet s’inscrivent dans ce courant. Comme nous l’avons mentionné précédemment, l’organisme se fait un devoir de considérer la santé des humains comme un facteur qui influe directement sur la santé des animaux, et vice-versa : « Quand on intervient auprès d’un animal, on se doit d’avoir une vue d’ensemble. Celui-ci vit avec une personne qui s’en occupe, il habite dans un tel environnement, sa famille a des défis », souligne la Dre Grégoire-Jacques. « Il est important d’être dans l’échange et l’ouverture avec le client, de présenter plusieurs plans et des alternatives de soins qui conviennent à sa situation », conclut-elle. De son côté, la Dre Maltais parle du lien étroit qui unit l’humain à l’animal : « Tous reconnaissent le lien privilégié humains-animaux et comprennent l’attachement. En 2024, les animaux occupent une place importante dans les familles, en sont des membres à part entière. On le voit dans le quotidien, les gens sont amoureux de leurs animaux et s’investissent émotionnellement envers eux. »
Pour ce qui est de l’aspect environnemental, Communo-Vet redonne par la plantation d’arbres, compensant ainsi les émissions de gaz à effet de serre occasionnées par ses déplacements. Ce geste est rendu possible grâce au programme Crédit Carbone boréal de l’Université du Québec à Chicoutimi, au volet agricole puisque celui-ci occupe une belle part du territoire où l’organisme œuvre.
Contribuer au rayonnement de la profession vétérinaire
En misant sur l’éducation liée à son modèle d’affaires, Communo-Vet énonce clairement ses intentions et sa mission. C’est rassurant pour ses concitoyens, qui comprennent ainsi que les profits servent entièrement la communauté, et que l’organisme est ouvert aux idées de projets qui répondront spécifiquement aux besoins de la population locale, pour le bien commun. De fait, on ne parle pas juste d’une offre de services vétérinaires traditionnelle. Le médecin vétérinaire devient un acteur phare au sein de la communauté, ce qui contribue positivement au rayonnement de la profession vétérinaire.
Développer le modèle Communo-Vet au Québec
Le modèle Communo-Vet suscite la curiosité dans la communauté vétérinaire. Les Dres Grégoire-Jacques et Maltais se font toujours un plaisir de discuter du projet avec leurs collègues. Cet intérêt laisse présager que celui-ci pourrait faire des petits dans un avenir rapproché. La Dre Grégoire-Jacques explique toutefois que l’objectif n’est pas de recréer la même formule aux quatre coins de la Belle Province : « D’une structure administrative commune naîtraient plusieurs mini Communo-Vet, qui soutiendraient des initiatives inspirées par la réalité locale. On ne veut pas un système de franchises, on veut plutôt des branches personnalisées. Nous parlons donc d’une mission commune, mais de projets différents, qui s’arriment aux besoins pointus de chaque communauté. » Partager une structure est de loin l’approche la plus efficace pour maximiser les marges à réinvestir dans le volet communautaire de tous.
Fierté et appartenance : des valeurs inspirantes
Vers la fin de l’entrevue, nous cherchions à savoir ce que les Dres Grégoire-Jacques et Maltais retiraient de leur modèle d’affaires en tant que praticiennes. Elles n’ont pas hésité à répondre :
« De pouvoir expliquer concrètement aux gens où vont les sous, et d’aligner mes actions avec mes valeurs, ça allège ma pratique », mentionne la Dre Grégoire-Jacques.
De son côté, la Dre Maltais parle de fierté : « J’ai un sentiment de grande fierté, un sentiment d’appartenance à la communauté. Je souhaite être un modèle pour mes enfants, qu’ils voient que maman a un impact dans la communauté. »
La Dre Grégoire-Jacques renchérit : « Par notre modèle, nous sommes à une échelle plus humaine. On n’a pas réglé le sort de la planète entière, mais on améliore les choses à notre façon. »
Regarder vers l’avenir de la médecine vétérinaire communautaire
Pour conclure, les docteures nous ont transmis leurs souhaits pour la médecine vétérinaire communautaire.
« Nous souhaitons que la médecine communautaire se multiplie. Qu’elle soit plus commune au Québec et considérée à valeur égale aux autres secteurs de la médecine vétérinaire », mentionne la Dre Grégoire-Jacques. « Il est important que le volet communautaire se greffe à celui plus traditionnel pour diversifier l’offre de services à la population. Il va toujours y avoir de la place pour tous les joueurs du monde vétérinaire », ajoute-t-elle.
La Dre Maltais termine sur la note suivante : « Si tout le monde travaille ensemble, nous aurons assurément un impact positif sur notre communauté. Comme on dit, l’union fait la force. Pas juste pour le communautaire, mais pour tous les volets de la médecine vétérinaire. »