
Rabais, ristourne, avantage, objectifs de rendement : cette offre est refusée!
Déontologie, lois et règlements Information sur la pratique PublicitéQuand les pratiques commerciales ou de gestion dérogent du cadre réglementaire.
En ce début d’article, réfléchissons ensemble et posons-nous quelques questions :
- Est-ce qu’un médecin vétérinaire peut offrir un rabais sur un médicament?
- Est-ce qu’un employeur peut obliger un médecin vétérinaire à recommander un fabriquant de nourriture pour animaux en particulier?
- Est-ce qu’un médecin vétérinaire peut proposer un programme de suivi préventif incluant une suite de services prédéterminés en échange d’un rabais?
- Est-ce qu’un employeur peut donner à un médecin vétérinaire des objectifs de rendement sur la vente de services vétérinaires ou de médicaments?
- Est-ce qu’un médecin vétérinaire peut être tenu responsable advenant que les tactiques de vente de son employeur vont à l’encontre de l’éthique et de la déontologie?
À la lumière de ce survol d’interrogations, il va sans dire que les pratiques commerciales et de gestion privilégiées par les entreprises vétérinaires sont source de questionnement et de réflexion. Depuis quelque temps, le Bureau du syndic de l’Ordre est sollicité par le public, mais surtout par les membres, qui sont amenés à se positionner par rapport à certaines de ces pratiques proposées, et même parfois imposées par leur employeur. Ces médecins vétérinaires s’interrogent sur des façons de faire qui peuvent donner l’image d’une profession mercantile et soulignent au passage qu’ils ne peuvent pas toujours exprimer librement leur jugement professionnel. Ces témoignages nous inquiètent énormément, puisqu’ils dénotent des enjeux importants en matière d’indépendance professionnelle et de protection du public. C’est d’ailleurs pourquoi les membres nous contactent.
Une entreprise vétérinaire n’est pas un commerce au détail
Il faut garder en tête que certaines pratiques commerciales, qui sont largement utilisées par les entreprises de commerce au détail, telles l’offre d’un rabais aux clients ou la promesse d’avantages pécuniaires aux employés, ne peuvent être reproduites au sein d’une organisation vétérinaire. À titre d’exemples plus concrets, notons :
- les programmes visant à favoriser les produits d’un partenaire avec qui l’employeur a conclu une entente, un fabriquant de nourriture, par exemple;
- l’offre d’un rabais à la clientèle sur certains services vétérinaires, comme la stérilisation, sur adhésion à un programme de suivi préventif de la santé des chiots et des chatons, qui inclut une suite de services prédéterminés et des rendez-vous convenus d’avance.
Ces offres ont pour but d’améliorer la santé globale de l’animal, certes, mais elles visent avant tout l’accroissement de la rentabilité de l’entreprise et la rétention du client par une forme d’entente de services universelle pour laquelle le client en retirera également des bénéfices financiers ou un autre avantage. Ces pratiques commerciales compromettent l’indépendance professionnelle du médecin vétérinaire avant même qu’il n’intervienne sur l’animal. L’employeur interfère ainsi avec le jugement professionnel de ce dernier, ce qui est contraire à l’éthique, mais aussi à la déontologie.
Établir des objectifs en harmonie avec les règles en vigueur
Puisqu’elle permet d’aligner les efforts du personnel sur les objectifs globaux de l’entreprise, plusieurs employeurs utilisent la méthode de gestion de la performance qui impose, à chaque employé, des objectifs mesurables dans le temps. Dans le domaine vétérinaire, cette façon de faire soulève beaucoup de questions de la part des membres, et même du public. En janvier 2025, celui-ci a été interpelé par des reportages de Radio-Canada, qui portaient sur les regroupements et la vente de médicaments vétérinaires, diffusés à Enquête et à La Facture.
Il va sans dire qu’il est primordial de connaître les règles auxquelles le professionnel vétérinaire est assujetti avant de fixer des objectifs personnels avec lui. Le tout pour s’assurer qu’il n’y a aucune dichotomie entre ce qui est demandé et ce qui est permis. À titre d’exemples, un médecin vétérinaire ne pourrait pas :
- se voir imposer un objectif de vente d’un service en particulier, comme la dentisterie, la stérilisation ou des analyses de laboratoires;
- vendre un produit qui inciterait à recommander des produits et des services non nécessaires ou sans raisons médicales valables.
La décision de prescrire un traitement, un test ou un produit doit être justifiée par des faits dans l’intérêt d’un animal et de son propriétaire, et non pour atteindre un objectif de rendement qui aura pour effet d’accroître la rentabilité de l’entreprise et de permettre au médecin vétérinaire d’améliorer sa rémunération.
Il y aurait certainement bien d’autres exemples pour exposer ce à quoi plusieurs d’entre vous sont confrontés dans le cadre de votre pratique. Vous doutez peut-être de votre place dans un milieu de travail où vous devez vous battre pour préserver votre indépendance professionnelle, au péril de votre emploi parfois. Si tel est le cas, n’hésitez pas à contacter le Bureau du syndic pour en discuter.
Ce que la jurisprudence rapporte au niveau des sanctions imposées à des professionnels pour des infractions de même nature :
# | ORDRE | JURISPRUDENCE | CODE | SANCTION |
1 |
Ordre des dentistes Rabais 15 % aux aînés |
Dentistes (Ordre professionnel des) c. Kuzina 2024 QCCDODQ 17 2024-08-28 14-20-01304 |
Art. 3.05.05 Code de déontologie des dentistes | 2 500$ + réprimande |
2 |
Ordre des pharmaciens du Québec Prix en solde promouvant la consommation des médicaments |
Pharmaciens (Ordre professionnel des) c. Subai 2023 QCCDPHA 3 2023-02-16 30-22-02153 |
Art. 98 Code de déontologie des pharmaciens |
5 000$ recommandation conjointe + Réprimande |
3 |
Ordre des optométristes du Québec Rabais pour examen de la vue ou Apportez votre ordonnance obtenez 250$ de rabais! |
Optométristes (Ordre professionnel des) c. Jarada, 2024 QCCDOOQ 11 (CanLII) 2024-12-21 28-24-02700 |
Art. 85 Code de déontologie des optométristes |
7 500$ |
4 |
Ordre des chiropraticiens du Québec Signature d’un plan de traitement (entre 6 et 45 séances) entre 25% et 50% de rabais avec paiement à l’avance |
Chiropraticiens (Ordre professionnel des) c. Bergeron, 2024 QCCDCHIR 3 (CanLII) 2024-06-13 08-23-00448 |
Art. 75 Code de déontologie des chiropraticiens | 4 500$ |
Une position inconfortable pour les médecins vétérinaires
Les nombreux médecins vétérinaires qui ont contacté, avec raison, le Bureau du syndic pour témoigner leur malaise quant aux stratégies commerciales compromettant leur indépendance professionnelle se retrouvent dans une position délicate. Ils sont inévitablement confrontés à enfreindre leurs obligations professionnelles ou à se rendre coupable d’insubordination auprès de leur employeur en ne respectant pas ses directives. Plusieurs craignent les représailles et peinent à vivre dans un environnement où on leur impose ce genre de paradoxe.
D’autres médecins vétérinaires, pour la plupart employés d’un grand groupe, ne remettent pas en question les pratiques commerciales qui leur sont imposées. Ils tiennent à tort pour acquis que les vérifications d’usage ont été effectuées à un autre niveau. Ces médecins vétérinaires ont été très surpris d’apprendre que, consultés ou non par l’employeur, leur responsabilité demeure entière et qu’ils ont un rôle à jouer pour faire en sorte que la société pour laquelle ils exercent respecte les règles qui régissent l’exercice de la profession au Québec.
Ce que le Code de déontologie dit?
Les médecins vétérinaires et les sociétés au sein desquelles ils pratiquent ont les mêmes obligations à respecter. Vous retrouverez les règles qui régissent l’exercice de la profession au Québec dans la Loi sur les médecins vétérinaires, le Code de déontologie des médecins vétérinaires ainsi qu’en vous référant aux règlements associés. À cet effet, rappelons que les médecins vétérinaires doivent prendre les moyens raisonnables pour que la société respecte les règles qui régissent l’exercice de la médecine vétérinaire au Québec. Vous constaterez qu’aucun de ces règlements n’a fait l’objet de modification récemment.
Certains thèmes du Code de déontologie des médecins vétérinaires touchent de plus près notre sujet d’article.
Indépendance et désintéressement
Le Code est clair en matière d’indépendance professionnelle et de désintéressement. Il indique à l’article 14 que le médecin vétérinaire doit subordonner son intérêt personnel, ainsi que celui de la société au sein de laquelle il exerce ses activités professionnelles ou dans laquelle il a des intérêts, à celui de son client. Les articles 16 et 17 viennent compléter en mentionnant que le médecin vétérinaire doit ignorer toute intervention d’un tiers et éviter toute situation où il serait susceptible d’être en conflit d’intérêts ou d’être perçu comme tel; il doit sauvegarder son indépendance professionnelle en tout temps.
Le Code vient préciser à l’article 19 que le médecin vétérinaire est en situation de conflits d’intérêts s’il donne ou offre de donner une commission, une ristourne, un avantage ou une autre considération de même nature relativement à l’exercice de sa profession ou accepte des coupons-rabais ou autres semblables documents en vertu desquels une tierce personne s’engage à payer à la place du client une partie ou la totalité de ses honoraires.
Publicité
Les articles 37 et 38 du Code viennent encadrer la publicité liée aux services vétérinaires. À moins que le message vise l’intérêt et la protection du public, le médecin vétérinaire ne peut, dans sa publicité, promouvoir la consommation de médicaments ni annoncer ou permettre que l’on annonce en son nom un médicament requérant une ordonnance. Il doit aussi éviter les méthodes et attitudes susceptibles de donner à la profession un caractère de lucre et de mercantilisme et s’abstenir de diffuser au public toute offre de rabais, escompte ou gratuité sur la vente ou la prescription de médicaments.
Devoirs du médecin vétérinaire - Exercice en société
Les articles 1.1. et 1.2. viennent définir les devoirs du médecin vétérinaire qui exerce en société. Il doit prendre les moyens raisonnables pour s’assurer du respect, par la société au sein de laquelle il exerce ses activités professionnelles, de la Loi sur les médecins vétérinaires (chapitre M-8), du Code des professions (chapitre C-26) et de leurs règlements d’application. Les devoirs et obligations qui en découlent ne sont aucunement modifiés ni diminués du fait qu’un médecin vétérinaire exerce la profession au sein d’une société.
Dignité de la profession
L’article 45.13 du Code vient s’assurer de la préservation de la dignité de la profession. Selon cet article, le fait de conclure ou de permettre que soit conclue toute entente ou convention ayant pour effet de mettre en péril l’indépendance, l’objectivité et l’intégrité requises pour l’exercice de la profession ou le respect par les médecins vétérinaires du Code des professions, de la Loi sur les médecins vétérinaires et de leurs règlements d’application est dérogatoire à la dignité.
Un plan de match pour ouvrir la discussion
Si vous vous retrouvez dans une situation où vous observez des pratiques commerciales ou de gestion qui vont à l’encontre des règles, vous pouvez vous sentir dépourvu. Voici quelques pistes d’action qui pourraient vous aider à y voir plus clair :
Étape 1 - Discutez avec votre employeur
Discuter avec votre employeur ou son représentant vous permettra de bien comprendre les attentes à votre endroit et d’échanger avec lui concernant votre malaise. N’hésitez pas à demander des mises au point par écrit, le cas échéant. Vous pouvez aussi remonter dans l’organigramme et interpeller un gestionnaire médecin vétérinaire, voire le ou les médecins vétérinaires propriétaires, qui sont à l’origine de ces décisions et qui répondent aux mêmes règles que vous d’un point de vue déontologique et réglementaire.
Si vous exercez pour une société ou un regroupement vétérinaire, tournez-vous vers les médecins vétérinaires actionnaires. Ce sont eux qui doivent veiller à ce que la société réponde aux règles qui régissent l’exercice de la profession.
Étape 2 - Prenez position sur la question
Lorsque les explications ne suffisent pas à vous rallier et/ou l’employeur maintient sa position, vous devrez prendre position et en informer votre employeur.
Si vous décidez de ne pas mettre en application une pratique commerciale ou de ne pas tenir compte d’un objectif de rendement, pour pouvoir respecter vos obligations déontologiques, nous vous recommandons de l’en aviser par écrit.
Étape 3 – Au besoin, demandez l’intervention du Bureau du syndic
Le Bureau du syndic pourra entrer en contact avec les parties concernées afin d’obtenir le point de vue de chacun.
Chaque situation sera évaluée au mérite et pourrait mener à :
- Une enquête approfondie;
- Une conciliation des parties;
- Des mesures disciplinaires dans le cas où les parties maintiennent leur position et où le Bureau du syndic est d’avis qu’il y a faute.
Étape 4 - Vérifiez vos droits comme employé
Plusieurs ressources sont disponibles en ligne pour vous accompagner dans vos démarches. Celles-ci vous renseigneront sur vos droits dans le cas où votre employeur ne respecte pas ses obligations à votre égard. Pour plus d’information, consultez la capsule d’Éducaloi sur les droits et les obligations de l’employeur et de l’employé.
Vous pouvez aussi déposer une plainte ou une demande auprès des organismes publics, agents ou tribunaux suivants :
- la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail;
- un agent du Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada;
- le Tribunal administratif du travail;
- la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse;
- la Commission canadienne des droits de la personne;
- le Tribunal de santé et sécurité au travail Canada;
- un tribunal civil comme la Cour du Québec, dont la division des petites créances, devant la Cour supérieure et devant la Cour fédérale.
En conclusion
Les reportages récents de Radio-Canada l’ont mis en lumière : l’image positive et la confiance du public sont ce qu’il y a de plus précieux et de difficile à préserver pour une profession telle que la nôtre. Il appartient à chacun d’entre nous de la protéger. Revoir chacune des pratiques commerciales est un exercice qui doit impliquer tous les maillons de l’entreprise vétérinaire, employeur comme employés. En mettant en commun les idées, les pistes de réflexion et les interrogations de chacun, l’organisation y gagne. Le Bureau du Syndic demeure disponible pour répondre à vos questions, le cas échéant.
Bureau du syndic, mars 2025