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Chinchilla
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 |  Écrit par Ordre des médecins vétérinaires du Québec  |  Article

Respecter ses limites, tout un art!

Déontologie, lois et règlements

Il arrive parfois, dans le cadre de notre pratique, qu’un cas nous soit présenté pour lequel nous ne sommes pas tout à fait à l’aise.

Il peut s’agir, par exemple, d’une espèce animale inhabituelle, d’une condition médicale pour laquelle nous n’avons jamais encore été appelés à intervenir, d’un problème nécessitant une intervention technique que nous n’avons jamais réalisée ou d’une situation exigeant de l’équipement dont nous ne disposons pas. Ce genre de situation appelle à la réflexion, car il importe de s’assurer que la décision de prendre ou non en charge ce patient tient compte de tous les facteurs en jeu, dont, bien sûr, l’intérêt de l’animal et du client. D’une part, il est vrai qu’il y a une première fois à tout et qu’un médecin vétérinaire ne devrait certainement pas refuser tous les mandats sous prétexte qu’il s’agit d’une première pour lui. D’autre part, il y a des limites qu’il apparaît difficilement justifiable de franchir.

Nous vous proposons donc, dans ce numéro, une réflexion axée principalement sur deux articles du Code de déontologie des médecins vétérinaires :

5. Avant d’accepter de rendre des services professionnels, le médecin vétérinaire doit tenir compte du domaine où il exerce principalement, des limites de ses habiletés et de ses connaissances ainsi que des moyens dont il dispose.
Il ne doit en aucune façon porter atteinte au droit du client de consulter un autre médecin vétérinaire.

9. Le médecin vétérinaire doit s’acquitter de ses devoirs professionnels avec intégrité; à cette fin, il doit notamment : 

1° éviter toute fausse représentation quant à son niveau de compétence ou à l’efficacité de ses propres services ainsi que de ceux généralement assurés par les membres de sa profession, par toute autre personne qui collabore avec lui dans l’exercice de ses activités professionnelles et, le cas échéant, de ceux assurés par les personnes qui exercent leurs activités professionnelles au sein de la même société que lui. Si le bien de l’animal l’exige, il doit consulter un autre médecin vétérinaire ou, sur autorisation de son client, référer le cas à cette personne (notre soulignement).

Pour alimenter la réflexion, voici, comme nous le faisons souvent dans cette chronique, un exemple extrême et purement fictif d’un cas qui tourne mal. Il est à noter que même si nous avons choisi l’exemple d’une espèce animale qu’un médecin vétérinaire voit rarement en clinique, la même réflexion peut s’appliquer à tous les domaines de pratique, lorsqu’un médecin vétérinaire fait face à une situation inhabituelle, qu’elle soit médicale ou chirurgicale. Nous aurions pu, par exemple, discuter de cas complexes d’endocrinologie, de neurologie, de chirurgie orthopédique, d’ophtalmologie, etc. Amusons-nous donc avec le Dr D. Zinvolte.

Le Dr D. Zinvolte reçoit en consultation Monsieur X, qui lui amène son chinchilla. L’animal ne va vraiment pas bien, il a l’abdomen distendu et douloureux. Dr Zinvolte, qui ne soigne habituellement pas les chinchillas, décide de se fier à sa vaste expérience en médecine des animaux de compagnie. Après un examen sommaire, il conclut que la distension abdominale est causée par de l’ascite cardiogénique. Il prescrit donc du Fortekor à la dose recommandée pour les chiens. L’animal décède quelques jours plus tard.

Si un tel cas était présenté au Bureau du syndic, nous ne pourrions que conclure que le Dr D. Zinvolte a outrepassé les limites de ses compétences, qu’il n’a pas élaboré son diagnostic avec grande attention et n’a pas respecté les règles de l’art. Pourtant, plusieurs autres possibilités auraient pu être envisagées par le Dr Zinvolte :

 

La référence immédiate

Dès le premier appel téléphonique de Monsieur X, le Dr Zinvolte aurait pu expliquer qu’il ne soigne pas les chinchillas et diriger le client vers un autre médecin vétérinaire. Le client n’aurait pas eu à débourser des frais d’examen et de traitements inutiles, et le Dr Zinvolte n’aurait eu aucun effort à fournir pour sortir de sa zone de confort. L’animal aurait reçu les soins appropriés. Toutefois, la recommandation immédiate n’était peut-être pas obligatoire non plus. Le Dr Zinvolte aurait pu décider qu’il aimerait perfectionner sa pratique et offrir des services additionnels. Il aurait pu avoir envie d’améliorer ses compétences dans un nouveau domaine. De son côté, le client aurait pu refuser la recommandation pour des raisons de distance, par exemple, et insister pour que le Dr Zinvolte s’occupe de son chinchilla. Le devoir d’information d’un médecin vétérinaire envers son client est d’une grande importance, surtout face à une situation complexe. Le client doit être informé de façon complète et objective de la nature et de la portée du problème afin de pouvoir donner un consentement éclairé.

Quelles autres options s’offraient au Dr Zinvolte? Il convient ici de considérer les grands principes du Code de déontologie des médecins vétérinaires, décrits dans plusieurs articles auxquels nous vous renvoyons :

Informer adéquatement son client (art. 9.2) et le noter au dossier médical

Le devoir d’information d’un médecin vétérinaire envers son client est d’une grande importance. Il l’est d’autant plus lorsque le médecin vétérinaire fait face à une situation présentant un niveau de complexité inhabituel. Le client doit être informé de façon complète et objective de la nature et de la portée du problème afin de pouvoir donner un consentement éclairé. Comme toujours, le médecin vétérinaire devra donc, par exemple, expliquer les constats de son examen, expliquer les tests diagnostiques à prévoir et présenter les différentes options, dont la recommandation à un collègue. En revanche, il devra également expliquer ses limites, que ce soit sur le plan de l’expérience, des connaissances ou de l’équipement dont il dispose. Ces informations transmises au client doivent, bien entendu, être consignées au dossier. Dans ce cas-ci, le Dr Zinvolte devrait notamment expliquer qu’il n’est pas familier avec cette espèce, décrire les moyens qu’il entend prendre pour pallier ce problème et prévenir le client que malgré ses efforts, il demeure possible qu’au bout du compte, la recommandation à un autre médecin vétérinaire soit tout de même nécessaire. Le client souhaitera-t-il encore que le Dr Zinvolte soigne son chinchilla après avoir reçu ces explications? Peut-être que non. Mais supposons que oui, pour les besoins de cette chronique.

Utiliser les méthodes scientifiques appropriées (art. 4.2)

Le médecin vétérinaire doit respecter les règles de l’art, et cela commence souvent par la consultation de la littérature scientifique pertinente, quel que soit le domaine de pratique ou la situation à laquelle il fait face. Si le Dr Zinvolte avait consulté les ouvrages sur le sujet, il aurait pu y apprendre comment manipuler un chinchilla, comment faire un examen complet, comment identifier le sexe de l’animal et ainsi établir une liste de diagnostics différentiels pertinents pour un chinchilla. Il aurait su quels tests diagnostiques proposer et aurait pu émettre un pronostic.

Recourir aux conseils les plus éclairés (art. 4.2)

Prenons comme hypothèse que le Dr Zinvolte avait décidé, à la suite de ses lectures, de prendre des radiographies. N’ayant pas d’expérience dans l’interprétation de radiographies de chinchilla, il aurait pu contacter un service d’imagerie afin d’obtenir l’interprétation des radiographies. Il aurait également pu contacter un confrère pour discuter de la situation et obtenir son avis ou ses conseils. Ce confrère, de son côté, aura peut-être aussi besoin d’aide un jour et cette approche collaborative entre professionnels ne peut être que positive.

Ultimement, en utilisant l’ensemble des ressources à sa disposition, il se peut que le Dr Zinvolte, malgré son manque d’expérience, finisse par établir un diagnostic et réussisse à appliquer un plan de traitement approprié, et qu’à la suite de ce succès, il décide d’approfondir ses connaissances dans le domaine, par exemple par de la formation continue, pour le plus grand bonheur de ses futurs clients.

Il est toutefois également possible qu’à une étape du processus, le Dr D. Zinvolte estime avoir atteint les limites de ses moyens ou de ses compétences et que dans l’intérêt de son patient, il doive tout de même diriger le client vers un collègue. Cependant, il n’aura pas travaillé en vain. En ayant accompli une partie du processus, d’une façon conforme aux règles de l’art, il aura permis de circonscrire les différentes possibilités et d’établir un pronostic. Il aura administré un traitement de soutien approprié en attendant la consultation avec un collègue plus expérimenté et n’aura posé aucun acte pouvant nuire à l’animal. Son client étant satisfait, ce dernier n’hésitera pas, par la suite, à s’adresser à lui pour effectuer les suivis nécessaires.

Dans un monde idéal, tout se passerait bien et le client serait compréhensif. Mais que faire lorsque le médecin vétérinaire, convaincu que toute intervention additionnelle ne pourrait que nuire à l’animal, propose une recommandation et que le client refuse et insiste fortement pour que le médecin vétérinaire agisse coûte que coûte? Voilà une situation épineuse qui requiert beaucoup de doigté et de communication. Un médecin n’est pas tenu d’acquiescer à toutes les demandes de ses clients, puisque ces derniers n’ont pas toujours les connaissances nécessaires pour prendre une décision. Il doit donc prendre le temps de leur expliquer pourquoi il est en désaccord avec leur demande, en mettant principalement l’accent sur les risques pour l’animal et sur les conséquences possibles de cette décision, et convaincre le propriétaire de l’animal qu’au vu de la situation, la recommandation à un collègue est la meilleure option qui soit. En plus des éléments de réflexion décrits ci-dessus, rappelons aussi cet article du Code de déontologie :

54. Le médecin vétérinaire doit refuser de pratiquer toute intervention pouvant nuire au bien-être de l’animal ou d’une population d’animaux ou qui, selon lui, comporte des souffrances inutiles.

En conclusion, en tant que médecins vétérinaires, nous devons toujours privilégier l’intérêt de l’animal et du client, notamment en respectant nos limites. Ceci n’empêche toutefois pas un médecin vétérinaire de chercher à acquérir de nouvelles connaissances ou à développer de nouvelles habiletés. Mais s’il choisit de le faire, il doit s’assurer de respecter les règles de l’art, par exemple en faisant de la formation, en consultant la littérature scientifique et celle de confrères et en informant ses clients de manière à leur permettre de prendre une décision éclairée.

 


Article tiré de : Ordre des médecins vétérinaires du Québec. (2020). Le Veterinarius, Automne 2020, Vol. 36, n°4.