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pentobarbital
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 |  Écrit par Ordre des médecins vétérinaires du Québec  |  Article

Le pentobarbital première cause de mortalité par suicide chez les médecins vétérinaires, selon une nouvelle étude rétrospective

Déontologie, lois et règlements Information sur la pratique Pharmacie Santé mentale et bien-être Tenue d'un établissement

Depuis quelques années, le risque de suicide chez les médecins vétérinaires est une préoccupation importante au sein de la profession.

Il est reconnu que les médecins vétérinaires sont presque 4 fois plus à risque de mourir par suicide que la population générale et 2 fois plus que les autres professionnels de la santé (dentistes, médecins). Les questions de santé mentale comme la dépression, l’abus de substances, le stress lié au travail ou l’épuisement professionnel sont identifiées comme des facteurs de risque pour la profession vétérinaire, de même que le fait d’avoir les connaissances et l’accès aux moyens pour mettre fin à la vie. Dans cet article, je vous propose de réfléchir sur ce dernier point.

 

Pentobarbital, le principal coupable?

Il existe malheureusement peu d’études sur les suicides chez les médecins vétérinaires. Toutefois, une étude publiée dans le Journal of the American Veterinary Medical Association en septembre 2019 arrive aux constats suivants :

  • Les empoisonnements pharmaceutiques sont les méthodes prin- cipalement utilisées par les médecins vétérinaires, avec l’utilisation du pentobarbital arrivant en tête de liste.
  • La majorité des cas de suicide au pentobarbital se déroulent à la maison, indiquant que les médecins vétérinaires rapportent le produit chez eux.
  • Le pentobarbital étant une drogue pouvant entraîner la mort, cela pourrait expliquer pourquoi les médecins vétérinaires qui meurent par suicide n’ont souvent pas d’antécédents suicidaires, leur pre- mière tentative mettant fin à leur vie.

Conjointement à ces observations et selon un sondage2 mené auprès de plus de 8000 employés d’établissements vétérinaires aux États-Unis (médecins vétérinaires, techniciens en santé animale, animaliers, réceptionnistes, gestionnaires, etc.), 71 % des répondants ont répondu OUI à la question : « Si vous étiez seuls dans la clinique où vous travaillez, pourriez-vous accéder aux drogues contrôlées? ». Relisez cette phrase…

 

Mythes et réalités en matière de suicide

MYTHE : Parler du suicide augmente le risque de suicide. Au contraire… Le slogan « Parler du suicide sauve des vies » rappelle qu’il est nécessaire de parler pour agir en prévention du suicide. Individuellement, mais aussi en tant que société, c’est en ouvrant le dialogue et en étant à l’écoute que nous arriverons à renforcer le filet humain autour des gens vulnérables. Dans le site www.commentpar- lerdusuicide.com, l’AQPS (Association québécoise en prévention du suicide) propose des pistes pour tous ceux qui ont besoin de parler du sujet.

MYTHE : Les hommes sont plus à risque de comportements suicidaires. Le taux de mortalité par suicide chez les hommes est 4 fois plus élevé que chez les femmes; en revanche, les femmes ont 4 fois plus de chances de faire une tentative de suicide que les hommes. La profession vétérinaire est hautement féminisée, c’est donc un aspect non négligeable.

RÉALITÉ : Le suicide est très souvent un acte impulsif. La décision d’agir se prend en moyenne en moins d’une heure et parfois même en moins de 5 minutes. La fenêtre d’action est petite, mais si on peut interrompre l’impulsion suicidaire, on peut sauver des vies.

RÉALITÉ : Contrairement à la croyance populaire, les personnes qui font une tentative de suicide et qui vivent ne meurent généralement pas par suicide à une date ultérieure. C’est un appel à l’aide et si la personne peut recevoir l’aide dont elle a besoin, il y a de fortes chances que sa vie soit épargnée.

 

Que devons-nous retenir?

  • L’accès à des méthodes létales de suicide (pentobarbital en particulier) pourrait expliquer, entre autres, le risque plus élevé de suicide chez les médecins vétérinaires.
  • Un accès restreint aux barbituriques pourrait être un facteur de prévention. En effet, de façon générale, la restriction de l’accès à des méthodes létales de suicide aux personnes à haut risque a été identi- fiée comme une stratégie efficace dans la prévention des suicides.

 

Est-ce que la restriction d’accès aux drogues contrôlées telles que les barbituriques est applicable et souhaitable en médecine vétérinaire?

Les médecins vétérinaires utilisent les barbitu- riques quotidiennement dans leur travail et il n’est certainement pas souhaitable d’en restreindre l’usage ou d’augmenter la charge de travail des praticiens.

Cependant, comme professionnels, nous pouvons sûrement mieux faire en matière de gestion de la pharmacie et en particulier la gestion des drogues contrôlées, c’est là notre devoir déontologique.

En effet, conformément à l’article 9.6 du Code de déontologie, les vétérinaires doivent contrôler en tout temps l’inventaire des médicaments et s’abstenir de « permettre d’obtenir des médicaments, sans raison médicale suffisante ou pour des fins de consommation humaine ».

Ainsi, des systèmes de contrôle tels que le principe des « 4 yeux » (voir plus bas) peuvent être instaurés afin de limiter l’accès des drogues contrôlées à une seule personne. Non seulement ces pratiques sont conformes d’un point de vue déontologique, mais elles sont sécuritaires et peuvent sauver des vies.

Il semble effectivement y avoir une corrélation entre la difficulté d’accès à une méthode de suicide et la baisse des cas de mortalité par suicide.

À noter : Les techniciens en santé animale sembleraient plus susceptibles d’utiliser les opioïdes comme méthode de suicide. Il n’est  pas clair si ces drogues seraient obtenues dans un établissement vétérinaire ou non. Mais cela vient confirmer le besoin d’avoir un contrôle plus serré sur les drogues contrôlées dans les établissements vétérinaires.

À titre de médecins vétérinaires, nous avons les connaissances et les moyens de nous enlever la vie. Collectivement, nous pouvons et nous devons nous compliquer la tâche.

Pour finir, une mesure préventive appliquée par bienveillance pour les autres peut s’avérer salutaire pour nous-même, car personne n’est à l’abri de moments plus difficiles… ?

 

Références :

  1. https://drandyroark.com/what-do-we-do-about-suicide
  2. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4266064 (La Revue vétérinaire canadienne, janvier 2015)

 

Ressources :

« PRINCIPE DES 4 YEUX / 4 EYES PRINCIPLE »

Principe par lequel une activité, une décision, une transaction, etc., doit être approuvée par au moins 2 personnes. Dans le cas des drogues contrôlées en médecine vétérinaire, on pourrait par exemple exiger qu’il y ait au moins 2 personnes qui valident ensemble l’entrée et la sortie de médicaments, ou encore 2 personnes présentes lors de la préparation et de l’administration de drogues contrôlées, en particulier le pentobarbital. Cette précaution est d’ailleurs déjà utilisée en médecine humaine.

 

Quelques pistes de réflexion…

  • Les drogues contrôlées sont gardées sous clé et hors de la vue du public, c’est un bon départ. Où est la clé? Combien de clés sont en circulation? Qui peut prendre la clé? Qui peut prendre les drogues contrôlées?
  • Les médecins vétérinaires sont souvent les dernières personnes à quitter l’établisse- ment en soirée, après avoir complété leurs dossiers, entre Ont-ils réellement besoin d’avoir accès aux barbituriques après une longue journée de travail qui a possiblement été difficile psychologiquement?
  • Il peut être simple et sécuritaire d’apposer le numéro du Service de prévention du suicide (1 866 APPELLE) sur le coffre ou le tiroir contenant les barbituriques et, qui sait, une vie pourrait être sauvée.